Méthode « peu ragoûtante » contre Alzheimer
Chère lectrice, cher lecteur,
J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle…
La bonne nouvelle, c’est que des chercheurs viennent de découvrir une voie prometteuse contre la maladie d’Alzheimer.
La mauvaise nouvelle, c’est que la solution qu’ils étudient n’est « pas très appétissante ».
Je m’explique.
Une équipe de l’Oregon Health & Science University a voulu vérifier si la modification du microbiote intestinal pouvait jouer un rôle dans la prévention des maladies dégénératives comme Alzheimer[1].
Pour cela, ils ont utilisé une méthode étonnante : la transplantation fécale.
Cette méthode consiste à introduire dans l’intestin du malade un extrait de flore intestinale provenant de la matière fécale d’un individu sain pour rééquilibrer celle du malade.
Dit plus de façon plus crue, il s’agit d’injecter les selles d’un individu à un autre pour modifier son microbiote.
Si le procédé peut provoquer un certain dégoût, plusieurs études ont validé l’intérêt de la transplantation fécale contre différentes pathologies.
Des chercheurs australiens ont par exemple obtenu des résultats étonnants en cas de côlon irritable, puisque la moitié des patients ont vu leur état s’améliorer, et certains ont même été guéris[2].
En 2013, une femme de 86 ans a été sauvée d’une grave infection intestinale à la bactérie Clostridium difficile, potentiellement mortelle, grâce à une transplantation fécale de sa belle-fille[3].
Mais jusque-là, aucun scientifique n’avait encore testé cette technique pour les maladies neurodégénératives, même si la relation intestin-cerveau est connue depuis les années 1990… et même depuis plusieurs siècles dans le monde oriental.
Une ligne directe intestin-cerveau
Dans les cultures orientales, le cerveau, psychisme et émotions, est toujours lié au ventre.
Pour la médecine chinoise par exemple, les émotions sont indissociablement liées aux organes où elles se manifestent. Ainsi, les troubles émotionnels sont responsables de perturbations du bon fonctionnement des organes internes. Le stress, par exemple, affecte principalement le foie.
Au Japon, le bas-ventre est appelé « hara » (comme dans « hara-kiri », littéralement « s’ouvrir le ventre »). Il est considéré comme le centre des forces vitales, garant de l’équilibre à la fois physique et psychique.
En Europe, le lien entre intestin et émotions est également très ancien et se manifeste encore dans certaines expressions de la langue française. Une musique émouvante vous prend aux tripes. Vous regardez un film d’horreur avec la peur au ventre. Anxieux, c’est la boule que vous avez au ventre. Toujours dans le ventre, le froussard n’a rien tandis que l’amoureux a des papillons.
Cette vieille intimité entre nos entrailles et notre psychisme n’est pas une simple histoire bâtie sur des superstitions ou des expressions fleuries : la science a confirmé cette relation étonnante.
Au début du XXe siècle, les scientifiques ont soupçonné l’existence d’un réseau autonome de neurones dans l’intestin, mais c’est seulement à la toute fin des années 1990 qu’ils ont redécouvert ce centre nerveux et commencé à se douter de son importance.
Aujourd’hui, on estime à 200 millions le nombre de neurones de ce « deuxième cerveau », qui interagissent entre eux, mais aussi avec ceux de notre tête. On sait désormais qu’un problème émotionnel peut mettre en péril le système digestif et perturber l’équilibre de ses milliards d’habitants microscopiques (10 fois plus que les cellules de notre corps !).
Mais l’inverse est aussi vrai.
Un déséquilibre intestinal peut entraîner des troubles très variés et affecter le psychisme. De même, en modifiant la flore intestinale, il serait possible d’agir directement sur la santé de notre cerveau.
Et c’est justement ce que les scientifiques ont découvert il y a quelques jours.
Elles retrouvent leurs capacités cognitives
L’étude en question est parue début février 2022.
En modifiant le microbiote de souris grâce à la transplantation fécale, les chercheurs se sont aperçus que le comportement et les capacités cognitives des souris receveuses étaient modifiés… ce qui pourrait avoir un impact direct sur la maladie d’Alzheimer.
Une grande première selon Jacob Raber, professeur de neurosciences comportementales et principal auteur de l’étude :
« Nous avons découvert que la modulation du microbiome intestinal par des implants fécaux chez des souris sans germes induit des changements comportementaux et cognitifs dans un modèle de la maladie d’Alzheimer. À ma connaissance, personne n’a montré cela auparavant dans un modèle de la maladie d’Alzheimer[4]. »
Cette découverte fait suite à d’autres travaux prometteurs.
L’an dernier, des chercheurs avaient trouvé un lien entre la composition du microbiote intestinal et les performances comportementales et cognitives, en cas de gènes associés à la maladie d’Alzheimer[5].
En 2018, l’Association Alzheimer avait présenté quatre études qui suggéraient un lien entre la maladie d’Alzheimer et certaines bactéries intestinales[6].
Malgré ces résultats très positifs, la transplantation fécale n’est pas une technique à prendre à la légère.
En 2015, une Américaine était devenue obèse après avoir subi une transplantation fécale de sa fille pour soigner une infection intestinale[7] !
La recherche n’en est qu’à ses débuts sur cette technique et ses effets sur notre organisme ne sont pas encore bien connus.
En revanche, il existe d’autres techniques pour prendre soin de votre microbiote.
Une technique moins repoussante et plus sûre : adapter son alimentation
Une façon plus sûre d’agir sur votre flore intestinale et, par extension, sur votre cerveau, consiste à prendre des probiotiques sous forme de complément.
Ces bonnes bactéries agiraient positivement sur les intestins : elles renforceraient le microbiote et freineraient la prolifération des micro-organismes pathogènes.
En revanche, le microbiote est un environnement complexe : plusieurs centaines de milliers de milliards de micro-organismes tapissent notre système gastro-intestinal.
Or les compléments ne contiennent qu’un nombre limité de souches, qui ne reflètent pas la complexité de la communauté de microbes qui vit dans nos intestins.
Il est donc très difficile de connaître l’impact réel d’un tel complément.
Le Pr Jacob Raber met d’ailleurs en garde contre cette solution :
« Si vous modifiez un élément, vous modifierez également d’autres éléments, il faut donc s’assurer de sélectionner un probiotique qui favorise la santé cérébrale et la fonction cérébrale de chaque patient, tout en limitant les effets secondaires négatifs[8]. »
Or à l’heure actuelle, aucun complément probiotique n’a validé une efficacité sur la cognition, et encore moins contre la maladie d’Alzheimer.
De mon côté, je préfère privilégier les probiotiques que l’on trouve naturellement dans certains aliments, et qui abritent une population microbienne plus variée.
On les trouve dans tous les produits fermentés (à condition de les consommer crus) : choucroute, kéfir, fromages, kimchi, sauce tamari…
Amicalement,
Florent Cavaler
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